Le Bourreau de Pär Lagerkvist (auteur prix nobel!), étrange et beau...
Paru en 1952, ce récit, ou conte (pourrait-on dire) est pour moi un cas bien à part dans le fil de mes lectures de ces derniers mois! Ce tout petit livre m'a été conseillé par une jeune collègue qui, sans m'en dire davantage, semblait s'émouvoir de cette découverte. Cet auteur est de surcroît, prix nobel.... ça vaut le détour, non?
Vous pourriez penser que je vais le descendre, comme il est monté jusqu'à ma table de chevet... Non, non ! Je le trouve très bien ! (mais moins émue que ma collègue, tout est question de subjectivité...)
Ce court récit prend forme au travers d'une écriture très maîtrisée, assez belle, il faut l'avouer , et hisse au premier rang le personnage archétypal du bourreau, chargé de trancher la tête des condamnés (il est aussi, finalement, un condamné, comme mort au milieu des vivants) .
Cette figure traditionnelle est incarnée par un homme, attablé dans une tarverne de soûlards, filles de joie et brigands, et qui, au milieu du vacarme et des anecdotes, reste marginal et silencieux. On comprend qu'il impose respect et force l'admiration des villageois l'apercevant. Quelques anecdotes, à l'occasion de la venue inédite du bourreau dans cet endroit mal famé, évoquent justement des histoires superstiteuses concernant les pouvoirs surnaturels et diaboliques des bourreaux (ou l'expérience d'un garçon condamné à mourir et sauvé par la générosité de son futur trancheur de tête!)
Finalement, ce récit présente une perspective philosophique intéressante dans la mesure où le bourreau, évité et craint, apparaît ici en sauveur de l'humanité, bien au-dessus du Christ lui-même car si ce dernier s'est sacrifié pour les hommes, le bourreau garde éternellement la mission très difficile de punir malgré lui les péchés et d'accepter cet horrible fardeau, celui de donner la mort sans faillir.
Les dernières pages brillent d'une écriture lyrique, voire épique, et donnent le sentiment d'un livre hors du commun, mystérieux et cinglant. D'après moi, l'oeuvre interroge notre tendance naturelle à idôlatrer une personne, à la sacraliser sans voir dans quelle mesure notre regard est biaisé, et dans quelle mesure la dignité, l'héroïsme serait condensés en un seul esprit (donc, plus simplement, le Christ n'est pas la seule figure du sacrifice universel, le bourreau porte lui aussi les fautes de l'humanité!).
On peut y lire aussi l'incarnation allégorique de la violence humaine, aveuglée par la guerre, enpêchant le bourreau de se reposer. Dès lors, celui-ci serait symbole de la barbarie en l'homme, comme une mémoire du sang versé et éternellement répandu.
Je n'ai pas finalement pas d'opinion déterminée...J'espère ainsi que certains se pencheront, après lecture, sur l'idée philosophique qu'ils en retiennent, et s'interrogeront sur l'intention de cet auteur , écrivain salué en Suède.
C'est à lire!
Court, intense, fluide et polysémique (bon pour les neurones)!