La servante écarlate, de Margaret Atwood, nous interpelle et nous saisit avec efficacité !
Ce roman paru en 1985 appartient au genre de l’anticipation, et, comme l’évoque la quatrième de couverture, il peut effectivement s’apparenter à 1984 de George Orwell, tant par l’effet oppressant de l’univers qui se profile dans l’œuvre, que par l’intention interrogatrice de l’auteur sur des sujets contemporains. Margaret Atwood, à l’instar d’Orwell, questionne la place de l’individu au sein d’une société extrêmement surveillée et contrôlée. Elle montre combien, dans ce contexte rigide et implacable, l’individu peut en arriver à oublier son ancienne vie, ses anciennes libertés : sa capacité est grande à s’adapter à tout pourvu qu’il trouve une compensation dans le monde tyrannique qui est le sien.
Il s'agit là d'une contre-utopie abordant de multiples domaines: la féminité, la liberté, la religion, la politique, la force de la masse.
Dans cette œuvre, l’individu est principalement représenté par une femme, Defred, nom donné par la société qui a renversé le pouvoir américain et a remplacé la démocratie par un système très autoritaire, fondé sur une idéologie chrétienne radicale et extrémiste. Tout ce qu’a connu Defred (on ne connaît pas son véritable prénom) dans l’ancien temps, le nôtre finalement, a disparu ; la femme doit se soumettre à la nouvelle hiérarchie au risque d’être envoyée dans un camp de concentration, de mourir pour avoir osé braver les valeurs établies. Ainsi, il existe plusieurs catégories de femmes : les Epouses, maitresses de maison, les Servantes dont fait partie Defred, chargées de faire un enfant au foyer de L’Epouse, car ce nouveau monde voit sa natalité chuter sans que l’on en sache les raisons véritables.
Defred raconte, comme à travers un journal, son quotidien au sein de la maison du Commandant, ses relations, bien sûr très limitées, avec les autres Servantes qu’elle rencontre mais à qui elle n’a nul droit de parler, seulement de leur adresser un salut très pieux.La Servante, habillée de rouge, doit effectivement procréer pour le bien de l’Etat et du couple auquel elle appartient, c’est une esclave matricielle entretenue et considérée à la fois comme un calice de fertilité et une chose sale, indigne. Elles sont alors voilées, vêtues de la couleur la plus vive, rappelant, par le rouge, leur statut au sein du système. Nous ne sommes pas si loin de La lettre écarlate, roman que j’ai évoqué dans un autre billet : la couleur, mais surtout la communauté religieuse, autoritariste et stricte ressemble un peu au monde que Margaret Atwood nous dépeint ici.
Defred laisse quelques indices sur sa vie passée, sa vie de couple évidemment terminée, sa vie de mère, son amitié avec Moira qu’elle retrouve un peu plus tard dans sa vie de Servante. On découvre que les autorités lui ont pris sa fille, et son homme, Luke, a disparu après leur arrestation et leur tentative de fuite. Defred, pour éviter la mort ou la torture, choisit de se perdre dans son rôle de Servante afin de vivre. L’identité est quasi résorbée, le passé est comme un étranger, la barbarie, l’oppression sont devenues banales, quotidiennes, comme si Defred n’avait rien connu d’autre !
La force du roman, au-delà de son engagement féministe, réside dans la description des émotions complexes du personnage, broyé par le pouvoir et les gens alentours. Defred cherche dans le passé des traces d’elle-même et s’accrochant à la moindre possibilité d’apaisement. Elle oscille entre le suicide, l’effacement psychologique, la révolte, l’espoir et la résignation.
La fin du roman reste aussi énigmatique que surprenante, elle est très bien trouvée ! Le roman est d’une grande qualité, la lecture en est fluide, et si l’écriture est plutôt bonne, c’est bien le monde dont l’auteur est l’architecte qui vaut le détour. A LIRE !