La nuit aveuglante d’André de Richaud, ou la découverte d’un roman polymorphe et étrange
Etrange ? Oui, car l’œuvre est d’abord un récit fantastique, dans lequel on retrouve ses motifs traditionnels. Le lecteur mais aussi le personnage lui-même sont poussés à douter des événements qui surviennent au fil de l’histoire. Tout y est ou presque : la nuit, le diable, le cauchemar, la pénitence, les visions nocturnes, les spectres. Nous entrons là dans l’univers gothique, dans la lignée des auteurs anglais de la fin du XVIIIème siècle.
Cependant, il faut le dire, rien dans le livre ne crée réellement l’effroi, le suspense. Le roman ne trouve pas son intérêt dans un divertissement dont la peur et le cauchemar seraient la clé de voûte. Ce roman s’appuie très plaisamment sur des topoï gothiques et fantastiques mais l’auteur veut nous emmener ailleurs : dans la conscience du personnage, Cyprien, qui subit le châtiment divin et se voit condamné à l’exil, loin de la réalité des villageois de la Provence, loin des siens, loin de la vie normale qui aurait dû être sienne. Cyprien a blasphémé, une blague d’adolescent, qui, lors d’un carnaval pittoresque, le prive alors de toutes chances de poursuivre une existence d’homme. Il doit s’enfuir.
Cyprien raconte alors les tourments de deux décennies au cœur d’une maison éteinte, maudite ou ensorcelée à laquelle il s’est accoutumé, mais tout en lui et autour de lui a ce goût amer, comme un parfum de cendre car tout ce qui constitue le vivant, les odeurs, les animaux, les arbres, le soleil, les plaisirs, le repos, se dérobent à lui. Il n’est pas simplement à l’écart des autres, il est aussi à l’écart du monde et des sens. Cyprien ne peut qu’exister dans la résignation et la méditation de son état. Ainsi, il nous le raconte sous forme de journal pour témoigner de l’indicible et de l’incroyable, pour faire de l’écriture un moyen de dessiner les méandres de cette pénitence céleste et de relater les apparitions les plus étranges qui soient.
Le livre ne fait donc pas de l’ambition fantastique, celle de susciter l’inquiétude, une intention première. Il envoûte néanmoins le lecteur quelque part dans cette « non-vie », dans le noir ambiant, dans cette froide maison et dans laquelle se fait entendre la voix d’un homme qui n’en est pas un mais qui pourtant révèle sa solitude, son angoisse, ses frustrations, et surtout son sentiment d’avoir quitté l’enfance sans l’avoir expérimentée.
L’auteur sème aussi, en filigrane, des réflexions sur l’acte d’écrire : pour qui, comment et à quelles fins noircir le papier ? Il songe quelques fois aux grands auteurs, aux styles, aux maladresses de la plume. C’est dès lors (et peut-être même avant tout) un roman sur l’écriture et ses contingences. L’œuvre est véritablement protéiforme, où se mêlent la voix de l’auteur et celle du personnage, où se marient lyrisme, éloge de l’existence, gothique et conscience dédoublée par le cauchemar et l’enfermement (céleste ou psychanalytique ?).
Je souligne la grande qualité de style de certains passages qui parfois frôlent la prose poétique. J’ai apprécié cette dimension stylistique. J’ai été marquée par ce personnage, à la fois héroïque et pathétique, et malgré le caractère hors-norme de son état, il reste digne et très humain
Le livre fait l’effet d’un roman nouveau (et non nouveau roman) qui trouve une place de choix sur les étagères car il fait montre d’un talent indéniable et d’une personnalité littéraire riche qu’est celle d’André de Richaud.