Orlando de Virginia Woolf : roman sur l’ambivalence et le génie, roman du plaisir paradoxal
Mais qu’est-ce donc que ce roman-là ? Mon impression est elle-même ambivalente ! J’ai plongé dans le roman comme contrainte aux paliers de décompression sous-marine ! A vrai dire, lire ce roman c’est à la fois chercher son souffle dans cette écriture par trop raffinée mais c’est aussi plonger pour admirer la belle écriture de Woolf et les traits vifs qu’elle donne sur le genre humain, ou plutôt sur les mœurs anglaises.
C’est tout à la fois ennuyeux, agréable, frustrant et intelligent. Si ! Tout cela à la fois ! Est-ce possible ? Et bien oui, avec Virginia Woolf je découvre le deuxième écrivain qui m’émerveille et m’exaspère (le premier étant Huysmans avec A rebours : même plaisir, même ennui, même déconvenue, même admiration !). Elle sera l’auteur du plaisir paradoxal dans mon expérience littéraire !
Orlando, c’est d’abord un roman sur le personnage en mal de génie, qui cherche partout, chez les poètes et les grands esprits, le génie de l’existence. Orlando est le personnage qui cherche à exprimer la vie, l’existence par l’écriture, d’un style maîtrisé mais jamais réellement abouti. Orlando, qui vit pendant trois siècles, mène une quête littéraire et philosophique.
Orlando est un personnage raffiné, solitaire, lucide et sensible à la nature, tel un romantique du dernier siècle qu’il parcourt. Sa vie de jeune lord anglais débute au milieu du XVIème siècle, puis l’amène en Turquie, plus loin dans le désert puis de nouveau à Londres pendant tout le XVIIIème siècle. Le lecteur voit la fin de l’aventure dans le nouveau siècle jusqu’en 1928
Autre raffinement original, Orlando change de sexe comme sous l’effet d’un sortilège passé sous silence, ainsi le personnage devient-il une femme avec tout le naturel dont la littérature est capable ! Le roman livre alors tout un jeu sur les genres, sur leurs caractères respectifs, et sous la plume de Woolf, je me suis sentie ballotée entre les clichés (mais très certainement tenus pour vrais encore aujourd’hui , ces poncifs ont malheureusement une teinte de vérité dans les mœurs de ce temps et dans le nôtre ) et une très belle réflexion sur la contrainte de l’existence féminine, entre convenances, corps, mariage et artifices précieux de la séduction.
Toute l’œuvre, notamment la deuxième partie dirions-nous, est traversée par le motif des sexes, de leurs faiblesses, de leurs allures et des quiproquos qui naissent entre eux. Il est sans doute une préoccupation de l’auteur qui semble prendre plaisir à passer du masculin au féminin, à brouiller les genres à travers Orlando et les autres personnages qui apparaissent.
Est-ce là un discours féministe ? Peut-être puisqu’il ne peut y avoir de réelle réflexion sur la nature féminine sans y trouver la volonté de la défendre ou d’en éclairer les subtilités. Mais j’y émets quelque doute car il me semble que si la question du masculin/féminin prend une place forte dans l’œuvre, Virginia Woolf semble surtout porter toute sa réflexion sur l’acte d’écrire, les tourments de l’écrivain qui cherche à traduire l’existence, à condition d’en connaître l’essence-même, ce qui n’a pas l’air d’être aisé, ni pour le personnage ni même pour l’auteur.
C’est enfin un roman très beau qui offre des pages maîtrisées sur la sphère mondaine et sa volubilité, ou encore sur la rencontre entre Orlando garçon et Sacha, la belle russe désinvolte, comme parfumée d’un musc envoûtant.
Woolf m’a donné l’impression d’un écrivain de génie qui doit, comme Orlando le subit en présence des génies, servir des pages complexes, parfois ardues, à la frontière d’un poème baudelairien ! J’ai alors le douloureux sentiment de ne pas tout comprendre, aussi, je fais le pari que le récit ne s’abandonne pas comme une femme amoureuse, il se mérite et demande certainement plus d’acuité pour percer à jour le mystère qu’est l’écriture de Virginia Woolf ! Ma fraîche impression de lecture est telle que je n’ai pas envie de la gâter avec une analyse poussée, tant pis pour la vérité. Il y a autant de livres dans un même livre qu’il y a de lecteurs.
Enfin, j’ai apprécié le roman mais sans toutefois faire du divertissement mon critère d’appréciation car la qualité d’une œuvre ne se définit pas simplement par l’effet qu’elle produit sur la masse des lecteurs, elle n’est pas bonne que parce qu’elle divertit bien !
Je suis un peu injuste cependant, de nombreux passages sont très bien écrits et pleins d’un humour cynique sur l’élite intellectuelle et sur l’amour bien sûr.