La petite Roque de Maupassant : nettement horrible et subtilement drôle.
Après Zola et sa nouvelle « Pour une nuit d’amour », je mets, de nouveau, un court récit à l’honneur, signé cette fois par Maupassant. Cette nouvelle est de celles qui font mouche et savent nous saisir !
Et bien voila une jolie découverte ! « Jolie », … peut-être est-ce un tantinet inapproprié pour cette nouvelle réaliste et sombre, comme Maupassant a l’art d’en écrire : entre cynisme, cruauté, ironie, sérieux et amusement.
La petite Roque est une fillette de douze ans, retrouvée dans un bois par le facteur du village, morte et entièrement nue. Evidemment, elle a été violée. L’évènement est un choc pour les habitants comme pour le lecteur qui subit, avec délectation ou effroi pour les plus émotifs, l’hyperréalisme de cette découverte macabre, comme surgie d’un polar, d’un film noir et inquiétant.
Cependant, pour apaiser notre surprise et peut-être mu par l’exigence de bienséance, Maupassant atténue un peu la violence de la scène à l’aide d’un incipit champêtre, par la description d’un paysage bucolique et enchanteur qui constitue les premières pages, puis achemine le personnage et lecteur vers le corps de la fillette.
Maupassant sait très vite nous attraper au lasso de son talent journalistique et littéraire, donnant au fait divers les contours d’une affaire abominable et surtout propice au suspense et à la fascination morbide de tous les lecteurs qui assistent, en même temps que les personnages, à ses conséquences pathétiques.
Mais voila, qui est l’assassin, le violeur ? Le lecteur, comme les protagonistes de la nouvelle, comprend rapidement que l’homme recherché est un habitant du village et non un vagabond comme on a pu le croire (Maupassant en profite pour évoquer par allusion le climat nationaliste régnant après la chute de Napoléon III).
La nouvelle se tourne alors vers l’assassin et sa conscience, vers le déroulement exact des faits, vers les tourments irréparables que vit cet homme. Maupassant frôle selon moi la compassion, quoiqu’il soit effectivement très manichéen de considérer le violeur comme un monstre ! La monstruosité du viol et de la mort de la fillette reste l’acte d’un homme malade, impulsif et désœuvré, qui ne suscite pas, dans ce récit, une réelle indignation.
Maupassant, par l’inspection de cette âme maudite, déjoue ainsi les émotions habituelles du lecteur (effroi, colère, indignation) pour relater la manière dont le criminel se débat avec lui-même, mais sans jamais nous inspirer la moindre pitié à son égard, et heureusement ! S’il est plus sage de ne pas s’écrier, il est sûrement plus décent de ne pas s’apitoyer.
L’auteur n’a pas ici l’intention de nous livrer une réflexion sur la psychologie criminelle, mais distille du fantastique et de l’humour noir dans cette nouvelle qui, par les contraintes de sa brièveté, ne permettrait pas une étude sérieuse des mécanismes de la pulsion qui peuvent engendrer de tels agissements.
« La petite Roque », c’est l’art de transformer le fait divers en une histoire prenante et curieuse, c’est construire un récit macabre, réaliste, tout autant affreux qu’ironique et cynique.
C’est assez savoureux, il faut bien le dire ! (et ça se lit à la vitesse de l'éclair!)