Rashômon de Ryunosuke Akutagawa : des contes noirs, originaux et déstabilisants
Quatre petits récits extraits de Rashômon et autres contes paru en 1965 sont ici proposés par l'édition folio à 2 euros (bon plan!).
Ces contes fantastiques parus entre 1915 et 1922 traduisent avec talent un imaginaire noir, entre culture japonaise et hommage au fantastique à la française. Akutagawa appartient à une génération d'écrivains japonais des années 20 qui cherchent à renouveler l'imaginaire et l'écriture littéraires, dépasser l'occidentalisation de leur culture pour trouver un style plus moderne et ancré dans l'esprit du Japon sans renier toutefois la culture occidentale, qui semblerait-il, a beaucoup influencé l'auteur Akutagawa.
Ces quatre contes sont très différents les uns des autres, la forme est variable, le cadre, les personnages n'ont rien de commun et chaque récit propose sa couleur, son rythme, ses images, comme un éventail de tons et d'histoires allant de l'étrange à l'effroyable.
Les images surgissent comme de petites scènes très maîtrisées, très intenses et composent des histoires véritablement sombres ou irrationnelles.
Le premier récit, « Rashômon », est très court mais probablement le plus noir et le plus dense dans la mesure où tout se passe très vite et le lecteur n'en connaît ni la résolution ni la morale. Tout se passe de nuit dans un recoin insalubre d'une ville et dans lequel s'entreposent quelques cadavres. Un homme désespéré et perdu suite à son licenciement se trouve à attendre que la pluie cesse et découvre alors une scène stupéfiante et malsaine, entre misère humaine et fantastique. Le lecteur est happé par cette histoire qui prend aux tripes sans offrir une quelconque vérité ou sagesse. C'est un récit sur la noirceur humaine. Non, ou alors sur la misère ? Peu importe, il n'est pas forcément de nécessité d'y trouver un sens, seul compte le saisissement des images !
Le suivant, « Paravent de figures infernales » est très abouti et nous entraîne dans la folie d'un peintre de cour, détesté et génial, entraîné par son ultime commande dans les ténèbres et les enfers. Le récit nous laisse l'impression de mouvements et de couleurs rougeoyantes comme des flammes qui dévorent les protagonistes et attisent vivement l'intérêt de lecture. Nous trouvons là un conte subtil et flamboyant sur l'art et la folie.
Le troisième, « Dans le fourré » est remarquable et moderne : il propose, sans intervention d'aucun narrateur, la version et la seule voix de tous les personnages qui ont assisté au crime ou l'ont commis . Toutes ces versions sont contradictoires et insufflent une confusion sur le réel. Le récit est efficace, teinté d'un humour noir indéniable. Là encore, nous n'apprenons aucune vérité viable autre que celle du personnage qui se confie. C'est très bon !
Enfin, « Gruau d'ignames » se centre sur Goi, un misérable officier, malmené par les autres et rêvant intimement de manger en quantité un plat raffiné servi à la cour de l'empereur. Difficile ou peu utile de résumer le récit. Le conte recèle également une tonalité comique, et introduit cette fois le merveilleux comme un écho à la tradition du conte. Le narrateur nous guide et nous amène au cœur d'une intrigue avec délicatesse, humour et fantaisie,.... mais le malaise n'est jamais loin.
Cet extrait du recueil d'Akutagawa nous transporte dans un univers particulier, prenant, drôle ou obscur. C'est sans aucun doute un bon moment de lecture !