Merlin de Robert de Boron (début du XIIIème siècle) : un roman sur les actions politiques et religieuses du célèbre enchanteur
Merlin, que nous connaissons tous, existe de nos jours par l’image romanesque et folklorique du magicien, de l’enchanteur fabuleux et fantasmé, et dont le fameux Gandalf de Tolkien en est sans doute un héritier.
Mais le Merlin de Robert de Boron est tout de même bien différent: il fait ici figure de messager christique, porteur de la sagesse religieuse et qui ne manque jamais de façonner le royaume de Logres et du roi Arthur bien avant qu’il naisse et selon la volonté de Dieu.
L’enchanteur trouve en réalité une origine manichéenne : enfanté par le Diable pour contrer le pouvoir du Christ, il reçoit de sa mère pieuse et de Dieu la volonté de faire le bien et de favoriser, de prédire et de mener à bien la prise de pouvoir des frères Pandragon et Uter, puis d’Uter enfin, père d’Arthur.
Le roman repose sur le récit de la bonne justice er de l’action politique amenant la paix et l’espoir placé en le jeune Arthur qui retirera l’épée à l’entrée de l’église et coincée dans la roche. De même, Robert de Boron, qui n’a pas créé la légende du Graal, célèbre calice ayant recueilli le sang du Christ lors de la crucifixion, donne un tour définitif au Graal en lui conférant un pouvoir saint. Ainsi la légende la Table ronde se rattache finalement très solidement au christianisme, bien que ce lien existait auparavant avec Chrétien de Troyes.
Dans cette œuvre, Merlin est moins l’enchanteur fantasmé que le messager divin. La parole de l’auteur, si elle est créative, chante avec beaucoup de solennité un monde réglé sur la justice du ciel et sur les codes de l’honneur au sein de la royauté.
L’enchanteur est ici peu attachant mais le récit nous laisse entrevoir, à nous lecteur d’une époque lointaine, un univers médiéval centré sur le respect des valeurs chrétiennes et sur une société patriarcale qui révèle par ailleurs à quel point la femme est écrasée par ces valeurs et le bon vouloir des hommes.
J’admets que j’ai été saisie, sans avoir été très surprise, par la condition féminine qui est décrite dans cette œuvre, dans l'hypothèse personnelle que l’auteur s’en fait le témoin indirect et complaisant. Si la femme, comme la mère de Merlin, peut être dépeinte telle une vierge écartée de tous péchés, il est aussi manifeste qu’elle peut être un objet de désir et de satisfaction sans avoir vraiment la possibilité d’opposer un quelconque refus à l’homme qui voudrait la posséder, et surtout dans des circonstances politiques imparables.
Finalement, j’ai pris un certain plaisir à lire cette oeuvre, bien que fortement marquée par son temps, justement parce qu’elle se fait le miroir d’une société passée et qu’elle ordonne le monde en dissipant le surnaturel propre aux légendes celtes pour donner un nouveau visage à une pensée religieuse qui s’est instaurée pour les siècles à venir.