En l’absence des hommes, roman saisissant de Philippe Besson (2004)
Ce roman, que je viens de terminer, me laisse un peu hébétée. C’est une réelle émotion littéraire qu’il vient de me donner, et je perçois encore, pendant que j’écris, l’intensité narrative et passionnelle qui m’a été donnée par ce livre.
En l’absence des hommes, c’est d’abord l’amputation d’une grande partie de la population masculine en France, au temps de la Grande Guerre. Restent quelques hommes trop vieux pour s’y rendre, ou trop jeunes encore pour défendre les lignes au front. Dès lors, la rencontre peut se faire entre deux personnages, une amitié sincère qui n’aurait peut-être pu avoir lieu dans d’autres circonstances.
Tout est raconté par l’un d’eux, Vincent, « seize ans, les cheveux noirs, les yeux clairs », un jeune homme qui semble n’offrir que sa jeunesse, sa beauté, son indifférence à la morale et à ses parents, et enfin sa vive intelligence des autres. Il accède, par son appartenance à une bonne famille, aux salons mondains et se lie intimement avec Marcel Proust, en train de mettre au monde sa grande œuvre sur le temps perdu. Nous sommes en 1916.
En l’absence des hommes, c’est aussi l’absence déchirante de l’être aimé qui, comme déjà mort, finalement, part sur le champ de bataille. C’est d’autant plus inconcevable que l’une des guerres les plus meurtrières est elle aussi absurde.
Le temps perdu ou précieux devient un enjeu central pour Vincent, lui qui tient tant au présent, mais noue une relation passionnelle avec Arthur, vingt et un ans, qui revient du Front, pétrifié, et doit retourner à Verdun sept jours après. Cette courte relation devient primordiale pour Vincent et Arthur. Le temps des sept jours devient celui de toute une existence, dans la pureté de l’amour, dans l’étreinte physique presque religieuse et vitale. La guerre qui fait rage renverse la conception du temps, renverse les certitudes et fait basculer chaque existence ; elle transforme, et en un sens consolide l’amour entre ces deux jeunes hommes.
L’écriture de Besson nous charme très vite, les premières lignes promettent un moment de lecture suspendu, on est comme suspendu dans notre quotidien, saisi par la fluidité, la grâce de l’écriture, et par la grâce de l’histoire, des histoires, qui finissent par se rejoindre.
C’est beau.