L’Enchanteur, de René Barjavel, ou la matière de Bretagne ravivée avec talent.
Pour ceux qui gardent un intérêt quant au cycle de la Table ronde, ce roman est un petit bijou narratif qui ramène le lecteur dans le monde ancien des chevaliers en quête du Graal, objet sacré ayant recueilli le sang du Christ.
Mais le cœur du récit, comme le titre nous l’annonce, est bel et bien Merlin, figure incontournable et complexe de la légende arthurienne. Conçu par le Diable pour être l’antéchrist, Merlin l’enchanteur, dans le ventre de sa mère, choisit pourtant la voie de Dieu qui lui accorde de conserver ses pouvoirs diaboliques pour les mettre au service des hommes et du bien. Dès lors, Merlin s’acquittera avec ferveur de cette tache si lourde et noble de faire régner justice, paix et religion au sein de la Bretagne (très large à cette époque), en aidant les chevaliers à traverser les épreuves qui doivent révéler leur pureté et leur vaillance, car le royaume idéal et le Graal, ça se mérite !
Mais l’enchanteur, « celui qui est mortel », tel est le sens de son nom, va flancher sous la force de l’amour qu’il nourrit pour Vivianne, celle qui deviendra la Dame du lac et la mère protectrice de Galaad (dit Lancelot). Cet amour, puissant et pur, demeure pour le Diable une faille potentielle pour atteindre son fils magicien, qu’il déteste après que celui-ci l’a trahi au nom de la volonté divine.
En effet, Merlin, dès le début du roman, s’éprend très tôt et malgré lui d’une jeune fille, Vivianne, en train de se baigner nue, joyeuse et pure dans une source fraîche. Sa beauté, au dessus de toute créature, ramène Merlin à sa nature mortelle. Sous l’apparence d’un cerf blanc, Merlin observe la jeune fille avec surprise, il est ému, pour la première fois sans doute. Ce passage, très beau et enchanteur, ouvre l’histoire de Merlin et donne le ton : l’œuvre de Barjavel sera belle et irrésistible !
De leur côté, les hommes renommés du royaume de Logres, tels que Perceval, Gauvain, ou Lancelot, vont rencontrer des aventures périlleuses. Ils vont ainsi s’éprouver lors des tournois, des rencontres inattendues, ou des aventures mises sur leur chemin afin de les égarer ou de les mener jusqu’au château du Riche Pêcheur, celui qui veille sur la coupe christique, le Graal.
Nous sommes ainsi entraînés dans l’univers arthurien, fait d’amours contrariés, de sortilèges, de violents combats et de quête initiatique. L’œuvre est teintée de poésie, d’esprit chevaleresque, d’érotisme et de magie, sous l’œil avisé de Merlin.
Barjavel est véritablement un habile conteur, capable de perpétuer la fameuse tradition romanesque sans faire d’erreur, en même temps qu’il y distille avec art et fluidité des détails qui participent à l’harmonie et à la cadence de l’ensemble. On pourrait presque le croire surgi du passé ! (j’ai eu l'occasion de lire certains romans médiévaux … j’y vois une certaine ressemblance avec Barjavel, y compris dans l’aspect narratif !)
L’écrivain sort donc aisément son épingle du jeu et son œuvre trouve sa place parmi les meilleurs romans de la matière de Bretagne. Barjavel remercie, par avance, les auteurs originels et espère humblement être accepté parmi eux. Il mérite largement d’entrer dans le cercle de la table prestigieuse, celle des auteurs qui ont créé ou enrichi le Cycle.