Le Vampire de John William Polidori, nouvelle à succès du Romantisme noir
Puisque j’ai fait la récente et plaisante lecture de Frankenstein, je suis tombée au hasard sur l’un des comparses de Shelley qui, comme elle, a participé au défi d’écriture qu’avait lancé Lord Byron en 1816. Polidori est un peu à l’écart : il est le secrétaire de Byron et entreprend de terminer le récit que Byron a délaissé, celui du Vampire. A qui en attribuer l’écriture ? Les éditions répondent Polidori, et pour cause : le vampire, aristocrate raffiné et obscure, semble être le miroir grinçant de Byron peint par son secrétaire qui, selon certaines hypothèses, éprouverait une certaine détestation envers le célèbre lord pour qui il travaille.
Le titre de la nouvelle éclaire vite le lecteur quant au secret de ce lord. Nous attendons surtout de lire dans quelles circonstances il sera éventé par le narrateur qui entretient au début une relation cordiale avec Lord Ruthven.
Lord Ruthven, le vampire imaginé par Byron et Polidori, vient hanter l’existence du narrateur qui découvre peu à peu la nature démoniaque de cet homme impassible et mondain, impénétrable mais toujours sollicité par l’élite londonienne. La figure élégante, séductrice et secrète d’un homme mystérieux inaugure l’un des stéréotypes du vampire. Le lord, rappelons-le, s’attaque aux femmes, les débauche, les fourvoie et les assassine sauvagement au fond d’une forêt. N’y a-t-il pas là tout l’érotisme et la perversion propres au démon vampirique et qui sera aussi un ingrédient de Bram Stoker dans l’écriture de son roman quelques décennies plus tard ?
Il faut aussi évoquer la vogue d’une littérature noire à l’époque du cercle de Byron, comme la parution de romans gothiques fin XVIIIème – pensons à l’œuvre de M.G Lewis, Le Moine en 1796, l’auteur lui-même rendra visite à Mary Shelley, Byron et Polidori lors de ce séjour aux bords du Léman. Le vampire reste dès lors un personnage majeur de cette littérature qui met au goût du jour châteaux, monastères glaçants, forêts effrayantes et créatures sataniques. Mais il peut être utile de noter qu’au XVIIIème siècle, la croyance demeure encore répandue et l’existence des vampires reste une préoccupation sérieuse. Louis XV lui-même dépêche des spécialistes pour connaître la vérité sur les affaires rapportées d’Europe de l’Est et de France. Le vampire est capable de contaminer les vivants et de maintenir un état corporel digne malgré sa mort avérée. Ainsi les cimetières sont-ils profanés afin de voir quels sont les corps qui n’ont pas encore entamé leur décomposition, et gare à ceux qui ont l’air propre : ils seront totalement mutilés afin de prévenir tout danger. L’Eglise, de son côté, se défend de prêter toute attention à la présence de ces succubes car cette croyance va à l’encontre de la sainte résurrection : le vampire reste mort-vivant et questionne ainsi le pouvoir de vivre après la mort. Un seul a ces prérogatives : le Christ !
Polidori, s’il n’est pas le premier à lancer la mode des vampires en littérature, a semble-t-il trouvé un succès retentissant, et pourrait bien avoir inspiré, en partie, le non moins célèbre Dracula de Bram Stoker qui paraîtra presqu’un siècle plus tard en 1897. Il inspirera de même Charles Nodier et Alexandre Dumas.
La nouvelle, enfin, est positivement courte, et trouve une belle efficacité de rythme ! Le récit condense des scènes variées qui captent notre intérêt sans difficulté aucune. Vous passerez un très bon moment de lecture et peut-être serez-vous quelque peu décontenancés par la brièveté du récit qui, par sa qualité, nous fait rager et demanderait plus encore pour apaiser la soif (d’histoire pas de sang).