Petit traité de l’abandon, d’Alexandre Jollien : un essai sincère sur l’expérience d’être soi
Pour qui n’a pas commencé une psychanalyse, c’est une bonne entrée vers l’abandon de soi. Comment définir cet état selon Jollien ?
L’abandon, c’est d’abord une façon d’être au monde, à la vie, pleinement, dans l’instant. C’est aussi s’aimer, aimer l’autre d’un « amour inconditionnel », c’est-à-dire sans exigences, dans la plus grande bienveillance, un amour des autres que l’on pourrait traduire comme la Philia (en grec, la joie d’aimer), ou Agapè, « l’amour sans rivage », selon l’expression d’André Compte-Sponville (voir Le sexe ni la mort)
Jollien traite de son parcours personnel et initiatique pour tenter d’expliquer au lecteur ce qui pour lui constitue la réalité, la joie, l’amitié, le dépassement ou plutôt la non-fixation dans le désir et la souffrance.
Jollien, philosophe spirituel, s’appuie très souvent sur l’enseignement bouddhique, mais aussi parfois sur certains principes chrétiens, mais en rien dogmatiques. Rappelons que cet homme est né avec une infirmité motrice cérébrale et ce cheminement intime de l’acceptation et la douleur d’être soi est d’autant plus sincère et visible dans une situation telle que celle de Jollien. Je ne dirais pas qu’il a raison à la hauteur de sa douleur et des difficultés physiques, mais j’avoue porter plus d’intérêt à un tel homme qu’à une tierce personne qui pourrait donner des leçons de vie pour vanter les mérites du yoga ou de la méditation. L’auteur se distingue précisément parce qu’il s’écarte d’un discours simpliste qui tendrait à inviter les gens à « s’accepter », à devoir agir pour conquérir un bonheur illusoire ou un bien-être garanti et durable (ce qui serait à mon sens une ineptie).
Ce traité n’est précisément pas une leçon, il faut le lire comme un texte juste et qui interroge ce qu’est la joie, ce qu’est être soi, ce qu’est vivre. Sa lecture procure une certaine énergie, Jollien fait du bien ! Il nous ouvre quelques perspectives, en quelques pages, et nous élève un peu vers nous-mêmes, sans prétention.
J’y ai trouvé un fondement spirituel proche des préceptes de Carl Gustav Jung qui développe la concept du Soi, c’est-à-dire l'union des opposés en nous, mais que l'on pourrait comprendre au-delà comme le « fond du fond » de notre être dans lequel se trouve la joie, le repos et l’harmonie au monde.
Ce petit traité rappelle que l’homme poursuit un idéal très douloureux, se morfond dans la souffrance et les exigences sociales, sans se rappeler qu’il existe, que sa vie vaut tout , qu’il peut être capable de sentir l’existence au moment où il la vit, dans l’instant, sans « pourquoi », sans chercher à combler des désirs ou des manques.
Finalement, si je reste intimement persuadée que la psychanalyse est la voie la plus importante pour atteindre l’abandon (mais gardons nous de tous les psychanalystes !), Jollien livre un essai efficace, sincère et mûri d’une expérience chaotique, belle et peu commune. A lire.