Réparer les vivants, de Maylis de Kérangal (2014) : le cœur, organe de vie, organe du roman.
Que se passe-t-il ensuite, pour les vivants, lorsqu’un jeune homme énergique, impétueux, perd la vie accidentellement ? Quelle onde de choc se propage alors dans l’univers des proches de cet adolescent ? Non, ce n’est pas qu’un roman sur la perte, c’est aussi un roman sur le cœur, organe précieux et vital. Le roman est comme circulaire car il évoque très poétiquement le chemin d’un organe, le chemin de la mort vers la vie au sein d’un hôpital, le corps de cet adolescent est l’élément qui fait se côtoyer le malheur, la fébrilité et le sang-froid.
Il est question de cœur dans ce récit, de mouvement, de rythme cardiaque, de temporalité amplifiée, rétractée, de l’infiniment intime à l’infiniment universel, un va et vient entre l’urgence et le ralentissement, et toute l’œuvre s’organise comme les battements de l’organe, comme des pressions régulières qui influent sur le mouvement du récit et sur les portraits qui se dévoilent. Les vies, celles de parents, médecins, infirmières, adolescents sont subtilement nouées autour de ce corps sans vie, celui du jeune homme, perte irrémédiable mais dont le cœur bat toujours.
L’auteur, que j’avais découverte dans Corniche Kennedy, met sa verve littéraire au service d’histoires fixées dans le vif, imprégnées de vie, de banalité, de souffrance, d’excitation, de lassitude et de déchirement. L’écriture à la fois très sophistiquée et juste adresse au lecteur un paysage humain sensible et nouveau, qui nous permet de capter des bribes de quotidien prises dans des événements extraordinaires. Le style de Kérangal est effectivement extrêmement travaillé, rien n’est laissé au hasard et le roman se pare d’une prose poétique impressionnante qui confirme les hautes qualités de l’écrivain, mais j’avoue toutefois avoir été un peu gênée par ce zèle lexical qui fait pourtant la beauté de cette œuvre, je ne peux le nier. N’est-il pas vrai que la littérature, c’est d’abord « l’aventure du langage », dixit Marie-Hélène Lafon ?
Roman à lire pour la beauté et la maîtrise du style , pour le coup de maître narratif. Après, c’est une question de goût !